Le moine selon saint Benoît est un « cénobite », ce qui signifie qu’il vit en communauté et s’engage à vivre sa quête de Dieu non pas seul, mais au coude à coude avec d’autres moines. Cette vie fraternelle rassemble des hommes qui ne se sont pas choisis et sont différents les uns des autres par l’âge, l’origine sociale, les capacités et les talents. C’est là tout à la fois une chance et un véritable défi.
Une chance, la vie fraternelle l’est, qui nous permet de nous appuyer sur des frères dans le quotidien de l’existence. Par elle nous est offert un beau moyen de rencontrer Dieu car c’est lui que l’on sert quand on rend service à son frère. C’est le point de vue de Benoît qui, à propos des malades du monastère, dit : « on les servira comme s’ils étaient le Christ en personne, puisqu’il a dit : ‘j’ai été malade et vous m’avez visité’ » (Règle 36, 1). Les relations fraternelles peuvent être d’une grande richesse et il importe de les soigner en se rendant attentif aux uns et aux autres.
La vie fraternelle est aussi un défi car l’expérience montre que l’on peut être plus facilement fraternel avec des personnes de passage qu’avec les frères de sa propre communauté ! C’est pourquoi Benoît conseille avec réalisme : « Les frères s’honoreront mutuellement avec prévenance ; ils supporteront avec une très grande patience les infirmités d’autrui, tant physiques que morales ; ils s’obéiront à l’envi les uns aux autres ; nul ne recherchera ce qu’il juge utile à soi-même, mais ce qui l’est à autrui ; ils s’accorderont une chaste charité fraternelle » (Règle 72, 4s).
Un tel programme ne peut se réaliser que si l’on découvre et surmonte peu à peu, humblement, avec l’aide de Dieu, les obstacles qui nous habitent : la susceptibilité, la jalousie, la convoitise, la suffisance, l’orgueil… La vie fraternelle nous aide ainsi à nous connaître nous-mêmes, à prendre conscience de nos richesses humaines mais aussi de nos fragilités et même de notre péché. Mais il n’y a à cela rien de tragique : nous sommes des hommes en chemin qui s’efforcent de se convertir, en s’appuyant sur la miséricorde de Dieu.
Quand, à la fin de la Règle, Benoît invoque le Christ par ces mots : « Qu’Il nous conduise tous ensemble à la vie éternelle », il nous indique qu’il ne conçoit pas que nous avancions les uns sans les autres à la suite du Christ ! Il veut nous libérer de l’individualisme spirituel et nous ouvrir à une fraternité vraiment universelle.